Quelques extraits de Points & Contrepoints n°1
Stéphane Barsacq
Dossier Les Méconnus :
André Chénier, la Vérité de Parole
Il était dans la destinée d’André Chénier d’être traité, lui le Moderne, à peu près comme l’avaient été les plus glorieux des Anciens. Son œuvre, comme la leur, nous est parvenue par fragments, non pas démembrée et tronquée, mais ébauchée et imparfaite : rien ne ressemble plus à des ruines que des matériaux épars.
Ces débris ont exercé la sagacité des éditeurs et des critiques. On a vu en lui, tour à tour, et de manière contradictoire, un Grec d’Alexandrie et un homme du XVIIIe siècle ; un encyclopédiste et une manière de Parny ou de Le Brun ; un imitateur et un inventeur ; un authentique païen et un frère de Werther ; un descendant de Ronsard et l’héritier de Malherbe ; un révolutionnaire fougueux et une victime de la cause monarchiste ; un chantre de l’amour sincère et un homme de plaisir ; un restaurateur de l’esprit antique et un suiveur de la mode de son temps. Parmi ce fouillis d’impressions diverses, souvent le vrai Chénier s’est effacé pour devenir le porte-parole de tel avocat plaidant pour telle ou telle école. Peu de poètes auront eu autant d’admirateurs, de Chateaubriand à Claudel, de Hugo à Valéry, de Proust à René Char, mais nul non plus ne fut aussi diversement jugé.
Chams Bernard
"LE DOUX PAYS"
Plus me plaisent nos bois
Peuplés de daims, d’effrois,
Qui sont tout l’or du monde,
Que les moulins du nord,
Et les dieux de la mort
Qui pullulent sur l’onde,
Plus me plaît le domaine
Qu’a défriché la reine
Mère de nos terres fertiles,
Que les bas avirons,
Et les petits larrons
Pères des grandes villes
Et me plaît à l’envi,
D’aller passer ma vie
Au jardin des ancêtres
Mais le devoir cruel,
Auprès de lui m’appelle
Je reviendrai peut-être.
Un arbrisseau joli,
Une chère enfant polie
La grandeur des maisons
Passer devant la ferme,
Rentrer en la taverne
Et, en toute saison,
Connaître le blé ferme,
Le vin de la citerne,
Le pain humide et tendre
Aimer son doux pays,
Lui accorder sa vie
Et le vouloir défendre.
Catherine Ferrari
"LE COMMENCEMENT"
Jusqu’aux ganglions de mon enfance, je suis descendue
Le feu brûlait lentement comme les paroles d’une poésie sombre creusant dans la nuit
Des pages blanches laminées par une étrange lumière glissaient de la vieille écritoire
J’y ai vu tes grands yeux de noyé manger ton visage dans un ciel défait
– C’est là, déjà, que j’ai aimé ton sang errer au travers de mon cœur.
Christophe Scotto d'Apollonia
DAGON de H. P. LOVECRAFT (traduction inédite)
J’écris ces lignes l’esprit troublé ; ce soir en effet, je ne serai plus de ce monde. Impécunieux, et ma provision de drogue déclinant – de cette drogue qui seule rend la vie tolérable –, je ne puis supporter plus longtemps mon supplice, et vais me défenestrer de cette mansarde pour me fracasser le crâne dans la ruelle sordide. Ne vous imaginez pas que mon asservissement à la morphine m’a métamorphosé en une mauviette ou un dégénéré. Après avoir lu ces pages griffonnées à la hâte, vous pourrez entrevoir, sans jamais saisir à plein, pourquoi je n’ai plus le choix qu’entre l’amnésie et la mort.