MANIFESTE DE POINTS & CONTREPOINTS


Au printemps de l’année 1935, un jeune poète, sous le pseudonyme mystérieux de René Hener, fonda une revue littéraire dédiée à la poésie, que par goût de la conversation, et dans l’optique d’y accueillir même les frères ennemis, il nomma Points et Contrepoints. Nombre y publièrent, aujourd’hui célébrés ou immémorés, de Jean Cocteau à Marie Noël, de Léon Vérane à Jean-Victor Pellerin. Cette revue, qui se voulut l’oriflamme de la poésie d’une époque la dédaignant, René Hener la poursuivit jusqu’à sa mort, en 1979 ; elle ne lui survécut pas.

Points & Contrepoints – dont la résurrection au XXIe siècle se différencie par l’esperluette – posera comme jadis, au fur et à mesure des numéros, inlassablement la même question, la seule qui méritât jamais d’être posée : qu’est-ce que la poésie ?

La poésie est pour nous une religion de mystiques, s’exprimant dans une prière – chrétienne, islamique, païenne, athée –, où le langage se modèle comme une chair sur la langue et sur les doigts, jusqu’à pétrir l’âme physiquement. Les grands poètes, à une époque moins irréligieuse et rationaliste, étaient des prêtres, des chamans, des soufis, des prophètes, des druides, des völva. La poésie est un art sacré.

Peu importe qu’elle soit en prose ou en vers, libres ou rimés, sous forme de courte nouvelle ou de sonnet. Ces distinctions engraissent une dispute de chiffonniers universitaires s’arrachant les reliques de sépulcres en vue d’une chaire de vanités. La poésie, elle, se fait hors les murs.

Il est stupéfiant qu’à notre époque si préoccupée d’espèces en voie d’extinction, nul ne songe à sauver cet animal sacré : la Poésie, ce Taureau de Mithra qu’encensaient nos corridas. Car la poésie se traque contre nous-mêmes, et alternativement taureau et toréador, nous tentons de nous baigner dans le sang résurrecteur qu’il nous faut arracher par une violence salvatrice, à coups de cornes et d’épées, contre nos médiocrités intimes et nos paresses mondaines. Les fleurs d’acier de la poésie sont nos cornes et nos épées.

Non, dans cette époque d’écologie, l’objectif est d’abâtardir ce Taureau sauvage qu’est la langue française en le prostituant de mots médiocres, grossiers, technocratiques, de syntaxes désarticulées, confuses, obscures, de grammaires simplistes jusqu’à favoriser les brutes et les médiocres, – de l’abâtardir en un sabir qui justifiera la mégalomanie des âmes mortes.

Mais nous saurons même retourner contre leurs auteurs les mots infâmes, les gorger du sang sacré jusqu’à meurtrir leur vide et réenchanter ce siècle déchu.

Christophe Scotto d'Apollonia & Francis Venciton